by voilesetvoiliers.com, par Magnus Henderson.
Alors qu’Armel Le Cléac’h et Alex Thomson, de nouveau au contact au large de la Nouvelle-Zélande (75 milles les séparent ce matin alors qu’il y en avait 180 hier), flirtent avec une autre dépression, notre collaborateur scandinave, grand ami de Paul Elvstrøm décédé la semaine dernière, a extorqué quelques secrets à l’architecte Vincent Lauriot-Prévost sur ces monocoques IMOCA qui trustent les avant-postes…
Voilesetvoiliers.com : Il faut des foils pour gagner ce Vendée Globe ou ce sont les conditions météorologiques qui ont permis de telles performances ?
Vincent Lauriot-Prévost : Cela dépend en effet des conditions météo. Sur cette course, les foils n’étaient pas réellement nécessaires, ce qui ne sera pas vrai pour la prochaine édition. Aujourd’hui, le «range» d’utilisation des foils est finalement assez faible. Parce que les skippers sont assez conservateurs. Parce qu’il n’y a pas encore assez de recul pour savoir comment les exploiter au maximum. Parce que dans de nouvelles conditions de navigation, les solitaires ne les utilisent pas vraiment : il faut avant tout arriver aux Sables-d’Olonne ! De ce que nous savons, les leaders ne prennent pas de risque. Mais dans quatre ans, quand les marins auront accumulé l’expérience, les profils seront différents et l’utilisation plus importante…
Voilesetvoiliers.com : Les bateaux à foils de 2016 ne vont donc pas plus vite que les monocoques de la génération précédente ?
V. L.-P. : Il y a aussi le paramètre de la nouvelle ou de l’ancienne jauge qui joue sur la puissance apportée par les ballasts. Les foils en eux-mêmes sont devenus moins pénalisants par rapport à une dérive droite. Et cela deviendra de plus en plus favorable au fur et à mesure que nous tirerons les enseignements des navigations. On sait par exemple qu’Armel n’utilise réellement les foils que dans les configurations qu’il connaît. Dans toute nouvelle condition, le foil est rétracté. Dès qu’il y avait un peu de mer, les leaders ont été très vigilants avec ces appendices !
Voilesetvoiliers.com : Ainsi, les foils ne sont pas la seule explication des performances en 2016 !
V. L.-P. : Il n’y a pas assez de recul pour que les skippers sachent ce que cela pourrait apporter. Il y a des vagues, des houles qui n’ont pas été appréhendées auparavant. La différence actuelle avec un bateau comme SMA (ex-Macif, vainqueur du précédent Vendée Globe) vient plus du petit décalage météo que les deux leaders ont acquis dans la descente de l’Atlantique. Ce léger delta a offert aux leaders un train que leurs poursuivants n’ont pas pris ! On constate ces derniers jours que le différentiel ne change pas fondamentalement et ceux qui sont devant profitent un peu plus de bonnes conditions. Il n’y a pas beaucoup de différences entre Maître CoQ et SMA depuis l’Indien…
Voilesetvoiliers.com : C’est seulement une arme psychologique alors !
V. L.-P. : C’est surtout une arme qui n’a pas été utilisée à 100 %. Rappelons-nous qu’il y a un an, lors de la Transat Jacques Vabre, les foils effectuaient quasiment leur première sortie en course ! Il y a eu de la casse et en mars, la deuxième version n’était qu’une évolution pour améliorer les performances au près. Jean-Pierre Dick et Morgan Lagravière n’avaient eu la nouvelle version 2 qu’un mois avant le départ du Vendée Globe. Il faut mettre en balance l’expérience d’un Vincent Riou qui connaissait parfaitement son bateau avec sept années de navigation ! Il y a une marge de progression très importante pour les foils.
Voilesetvoiliers.com : On ne peut pas tout de même dire que les foils ne servent à rien sur ce Vendée Globe !
V. L.-P. : Non, mais les images au passage des Kerguelen montrent qu’ils ne sont pas les seuls contributeurs de la situation actuelle. Alex Thomson n’a plus qu’un moignon de foil sur tribord et il va aussi vite ! Armel Le Cléac’h sait parfaitement comment contenir les assauts du Gallois et il navigue très souvent avec le foil rentré : il maîtrise le sujet du Vendée Globe. Il porte une estocade pour gagner cent milles, et après il gère son avance. Il a confiance dans son bateau et il le préserve pour la suite.
Voilesetvoiliers.com : Donc quand Alex Thomson passe devant, c’est qu’il a utilisé le foil qui lui reste ?
V. L.-P. : Sans doute. Tout le monde est loin d’avoir appris comment ça fonctionne. Ce n’est pas le fait que les foils soient différents. Alex Thomson utilise sa version 1 avec des profils asymétriques sur le «shaft» : ils développent une force verticale plus importante aussi parce qu’ils ont plus d’envergure. Alex Thomson avait même fait une version 2 encore plus longue et encore plus porteuse avant que ces foils-là cassent avant le départ. Toujours avec un «shaft» asymétrique qui marche très bien avec un bateau à plat… Au contraire des autres foils. Les deux leaders ne naviguent pas de la même façon ! Plus il y a de l’envergure, plus il y a de la surface porteuse, plus il y a de la force verticale loin du centre de gravité. Mais Hugo Boss sera moins à l’aise quand il faudra faire du près…
Voilesetvoiliers.com : Donc les bateaux ne naviguent pas de la même façon ?
V. L.-P. : L’un doit gîter, l’autre non. Du moins avec le foil sorti.
Voilesetvoiliers.com : Mais la version 2 n’est pas aussi la même !
V. L.-P. : Absolument. Safran, StMichel-Virbac, Edmond de Rothschild ont des versions avec un «shaft» pas porteur, un «elbow» (coude) plus développé, un «tip» plus antidérive. Parce que pour faire du près, il faut plus de surface à l’extrémité. Ce que nous avons enlevé de portance d’un «shaft» asymétrique avec la version 1, nous l’avons reportée sur le «elbow». Et le déficit d’antidérive a été compensé par un «tip» plus grand dans la version 2.
Voilesetvoiliers.com : Mais tous les bateaux ne sont pas pareils…
V. L.-P. : Certains ont la sortie du puits de foil au-dessus du bouchain (Banque Populaire, Safran, No Way Back), et d’autres en dessous (Gitana, StMichel-Virbac). Ce qui définit une géométrie légèrement différente. Mais plus le foil peut sortir, plus il y a d’efforts sur le puits ! Ce qui implique aussi un renforcement structurel, ce que n’ont pas voulu certains skippers pour des raisons de poids aussi.
Voilesetvoiliers.com : Parce que Hugo Boss n’est pas le plus léger ?
V. L.-P. : Parmi les foilers, c’est Banque Populaire le plus léger ! Et cela joue sur plus de 500 kilos d’écart avec Hugo Boss. Il y a déjà 80 kilos de différence sur le poids de chaque foil : 250 environ pour Alex Thomson, 160 pour Armel Le Cléac’h. Et donc on ne parle pas des mêmes efforts sur le puits et sur la structure…
Voilesetvoiliers.com : Il semble aussi qu’Armel Le Cléac’h n’a pas les mêmes problèmes de vibration sur son foil, qu’il y a moins de bruit…
V. L.-P. : Il a aussi deux Vendée Globe au compteur ! Donc il a aussi l’expérience du bruit à bord. Les perceptions sont personnelles parce qu’ils sont capables d’aller de trois à quatre nœuds plus vite que l’ancienne génération de monocoques IMOCA. Mais la stridence est aussi due à la forme du foil, à son incidence, à son calage dans le puits, à son bord de fuite… Chaque team a travaillé différemment sur ce sujet, et sur la structure du foil puisque certains sont en carbone plein, d’autres creux, d’autres avec un coude en titane.
Voilesetvoiliers.com : On ne peut tout de même pas dire que les foilers n’ont pas un petit plus !
V. L.-P. : La météo a énormément influé sur la hiérarchie actuelle. Les foils (actuels) ont simplement permis d’avoir un léger bonus dans les conditions stables des alizés canariens d’abord, brésiliens ensuite. Mais quand on analyse les performances de Vincent Riou avant qu’il ne percute un OFNI, il faut pondérer l’effet foil. En fait, les leaders n’utilisent pas tant que ça les foils… Le petit décalage acquis juste avant le cap de Bonne-Espérance a permis de faire une différence qui se retrouve aujourd’hui multipliée par dix !
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